Stalker d’Arkadi & Boris Strougatski

Comme j’avais vraiment beaucoup apprécié Il est difficile d’être un Dieu des frères Strougatski, j’ai décidé de me pencher sur le reste de leur production. Et ça tombe bien, à la suite de cette publication, la collection Lunes d’Encre a publiée deux autres romans des mêmes auteurs : Stalker et L’île habitée. Présenté comme le « chef d’œuvre des frères Strougatski », Stalker a attiré mon regard. Ajoutez à cela, la magnifique, que dis-je, la sublime couverture de Lasth, je n’ai pas hésité une seconde, j’ai acheté ce livre peu après sa sortie… (par contre j’ai eu un peu de retard dans sa lecture).

Ça y est ! La révélation est faite : les hommes ne sont pas seuls dans l’univers ! Les extra-terrestres existent et ils se sont posés sur terre ! Ils ont même laissés nombre d’artefacts dans les Zones où ils se sont arrêtés avant de repartir on ne sait où ! Plusieurs années plus tard, la Zone est toujours pillée par des hommes appelés les Stalkers. Ils transgressent les interdits, entrent là où les hommes ne sont pas les bienvenues, défient les dangers et ramènent les objets extra-terrestres qu’ils y trouvent.

Comme pour Il est difficile d’être un Dieu, ce roman très court, à peine 200 pages, aborde une intrigue pas franchement intense ni trop intéressante, (heureusement non-ennuyeuse). Non, tout l’apport et l’intérêt du texte réside dans la problématique qu’il avance (même système que pour Il est difficile d’être un Dieu) : les extra-terrestres existent, ils sont venus sur terre : qu’est ce que cela veut dire ? Si cette question est en arrière plan tout au long du roman, il y a quelques pages où son développement est véritablement mis en avant (tiens là encore on retrouve le même schéma que pour Il est difficile d’être un Dieu) lors d’un dialogue entre deux personnages.

Le lecteur pourrait s’estimer floué, abusé d’avoir acheté et lu un roman pour lequel son intérêt parait résider dans à peine deux pages. Mais il aurait tort ! Ces deux pages permettent au reste du texte d’avoir toute son importance, et donne à l’ensemble une force et une intemporalité très importante (le roman date d’il y a quand même 30 ans : publication 1980 en VO). De plus, ce dialogue n’aurait aucune portée, aucune profondeur sans la description du monde qui la précède. Si ce questionnement est important c’est par une opposition : révélation de l’existence d’autres êtres dans l’univers et la continuité des vies comme avant. Les Stalkers pillent peut-être des objets extra-terrestres mais ils le font tout d’abord pour vivre, voire s’enrichir. Oui les extra-terrestres existent mais ces basses considérations que sont la survie et le besoin de manger tous les jours existent encore.

Un autre élément du livre tient dans ses descriptions de l’ambiance et de la Zone en particulier. On comprend très vite pourquoi les hommes qui sont parti refroidir le réacteur nucléaire de Tchernobyl ont été appelés les « Stalkers ». Les descriptions de la Zone, l’impression de destruction, de lourdeur et de perte qui pèse sur Harmont (la ville où se déroule l’action) font fortement penser à Tchernobyl et sa désertification. Bien sûr tel n’était pas l’impression, ni peut-être la volonté des auteurs, au moment de la publication du livre, mais aujourd’hui l’histoire a rattrapé la fiction. Ça c’est déroulé différemment, il y a moins de « révélation » mais impossible de ne pas y penser quand même.

Bref, j’ai beaucoup apprécié ce livre. Je l’ai peut-être trouvé moins intéressant qu’Il est difficile d’être un Dieu, mais cela tient exclusivement à la thématique (j’ai plus d’accointance avec les questions politiques qu’avec les rencontres extra-terrestres). Le livre reste tout autant impressionnant et intemporel. Sa taille permet en outre d’en faire une lecture rapide et aisée, sans porter atteinte à sa portée. Et je ne peux qu’insister : sa couverture est véritablement superbe !

A noter également pour ceux qui s’intéressent à ces auteurs, que le blog Russkaya Fantastika (dont l’un des auteurs n’est autre que la responsable de la révision de la traduction des rééditions des romans des Strougatski) met en ligne depuis quelques jours des articles ayant trait au cycle « L’Univers du Midi ». Les articles sont là :

Fiche technique :
Arkadi et Boris Strougatski ; Stalker ; ed. Denoël, coll. Lunes d’Encre, ISBN : 978-2-20726041-8 ; prix : 18€
(plus d’info sur nooSFere)

Gaëtan

6 réflexions sur “Stalker d’Arkadi & Boris Strougatski

  1. Une lecture pour le moins ancienne en ce qui me concerne (l’édition que je possède de ce roman est celle de la collection Présence du Futur, c’est pour dire…) mais néanmoins un très excellent souvenir de lecture : l’ambiance, l’atmosphère qui se dégage de ce livre est proprement unique, et époustouflante à bien des égards – au point de placer ce roman à part de la production occidentale de la SF, mais je connais assez mal la SF russe pour savoir si ce titre est emblématique ou bien une exception…

    Pour finir, je ne peux que recommander très chaudement l’adaptation qu’en a fait Andreï Tarkovski et qui reste un très grand moment de cinéma de SF, et peut-être même de cinéma tout court

    Merci de nous rappeler l’existence d’œuvres aussi majeures :]

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  2. J’avoue que je ne connais pas non plus la SF russe. J’ai donc lu deux romans des frères Strougatski, mais c’est tout. J’ai aussi le Livre d’or de la SF soviétique qui m’attend mais je n’ai toujours pas pris le temps de le lire.
    Pour le film de Tarkovski, j’en ai entendu pas mal de bien mais là encore je n’ai pas pris le temps de l’acheter. Merci de me le rappeler. Je vais mettre ça dans un coin de ma tête pour essayer de le trouver.

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  3. Le film de Tarkovski est un des sommets du septième art (tout se suite les grands mots!), mais c’est un de ces films qui passent (très) mal sur petit écran. Il réclame qu’on s’y immerge, donc qu’on le voie dans une salle obscure.

    Le concernant, on pourrait dire qu’il s’agit moins d’une adaptation que d’une magnifique trahison. L’histoire est un tantinet (sic) différente. Il est aussi bien moins explicite: l’origine et la nature de la Zone n’y sont pas élucidés, par exemple. Sans doute parce que dans le fond, c’est là sans importance. D’ailleurs, ce n’est presque pas un film de science-fiction, plutôt une fable philosophique, avec ce dialogue entre le Physicien et l’Ecrivain, dont les motivations pour se rendre dans la Zone sont bien troubles et bien égoïstes – celles du Stalker étant d’un autre ordre.

    En tout cas, c’est un film déroutant, qui réclame de prendre son temps parce que le rythme imposé est lent, et qui est aussi une recherche esthétique comme on ne se permet plus depuis longtemps…

    Pour la SF soviétique, le Livre d’Or est une excellente introduction. Malheureusement, il contient des perles d’auteurs qui n’ont par ailleurs jamais été traduits – sauf erreur de ma part.

    J’avais autrefois lu « La Nébuleuse d’Andromède » d’Ivan Efremov, utopie socialiste*, et abordé seulement la suite (sa face sombre), « L’Heure du Taureau », contre-utopie bien moins dans l’orthodoxie du Parti – et qui valut quelques ennuis à son auteur.

    Il faut, sinon, lire le bref « Nous Autres » de Zamiatine, qui a servi de substrat à Orwell pour son 1984 (je dirais volontiers qu’il a carrément pompé l’histoire, nonobstant les développements qu’il y apporte). Zamiatine qui ouvre le Livre d’Or susmentionné avec ses caustiques Contes de Theta…

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  4. (vraiment désolé pour ce gros retard dans ma réponse… la rentrée ayant été assez mouvementé je [et mes collègues aussi d’ailleurs] n’ai pas pris le temps de m’occuper du blog.).

    Donc pour en revenir à Stalker, merci bien pour toutes ces précisions sur le film. Ca me donne toujours aussi envie de le voir, surtout si c’est axé sur le dialogue entre le Physicien et l’Ecrivain (c’est mon passage préféré du bouquin).
    Pour le reste, merci aussi. J’ai Le livre d’or de la SF soviétique et « Nous autres » qui m’attendent dans ma pile et que je compte bien lire bientôt (enfin je dis ça mais on verra…).
    Par contre pour Ivan Efremov, je ne connais pas du tout. Je vais aller me renseigner. Merci bien !

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