Le Dieu des petits riens d’Arundhati Roy

Dans une Inde des années 1990, Rahel et Esthappen, les jumeaux dizygotes sont un et indivisible. L’ensemble d’un « nous » que l’on ne pouvait défaire. Ou du moins ils croyaient l’être. Ils sont en fait deux. Un garçon et une fille. Aujourd’hui ils sont adultes et chacun a mené sa propre vie. 23 ans les a séparés, l’un vivant chez sa mère, l’autre renvoyé chez son père. Alors, 23 ans plus tard, lorsque les jumeaux se retrouvent, nous revivons avec eux leur passé, pour comprendre ce qui a bien pu les séparer.

le-dieu-des-petits-riensNous replongeons donc dans l’enfance de Rahel et Estha. Les deux enfants vivent avec leur mère Ammu, divorcée d’un mari alcoolique. Ils ont trouvé refuge chez leur grand mère Mammachi et leur grande petite tante Baby Kochamma. Âgés de sept ans, ils doivent accueillir pour la première fois leur cousine anglaise Sophie Mol, la fille de l’oncle Chacko, lui aussi divorcé. Mais voila, tout ne se passe pas comme prévu. Sophie Mol meurt et Estha est renvoyé à l’expéditeur, auprès de son père.

C’est ce drame qui a bouleversé le quotidien de cette famille qui fixe la trame du roman. Au fil des pages, nous découvrons l’histoire de chacun des personnages, leurs désirs et leurs défaites. Et en toile de fond, le regard innocent de ces deux enfants : Mr l’ambassadeur Elvis Pelvis et l’ambassadrice Mouche Amiel. Deux enfants plein de vie. Adorables, touchants, attachants. Petits monstres au cœur tendre. Elle coiffée de sa cascade en va va, lui de son éternelle banane écrasée. Deux amours craignant de ne plus être aimés, qui rencontre leur cousine éternellement aimée.

C’est avec une facilité déconcertante que l’auteur nous fait passer du rire aux larmes. De cette gaieté enfantine à leur triste sort d’adulte. Nous faisons sans cesse un va et vient entre le temps de l’enfance, les souvenirs d’une vie passée et l’instant présent. Cela peut être déroutant, tant la construction de l’histoire est décousue. Mais pourtant, il y a de la beauté dans le désordre.  Et c’est un puzzle qui se construit peu à peu, un véritable exercice pour reconstruire la trame de ces souvenirs enfouis.

Même les horreurs qui arrivent à cette famille, l’auteur nous les transmets avec une certaine naïveté. Mais loin d’être niais, cela ajoute au désarroi, comme si par nos yeux d’adultes nous revivons la pensée d’enfants, et nous en percevons les horreurs, les souffrances qui ont mis fins à leur insouciance.

Ce roman est aussi une plongée au cœur de la culture indienne dans ce qu’elle a de plus singulier. Nous suivons les bouleversements que subit la petite ville d’Ayemenem dans le Kerala ; entre communisme, lutte des classes, et condition des intouchables. Parmi ces derniers, nous suivons le sort de Velutha, l’insoumis. Malgré sa caste, l’homme refuse de courber l’échine. Et bien que tout le poids des traditions l’exhorte à rester à sa place, le jeune intouchable se lie au sort d’Ammu, de Rahel et d’Estha dans leur amour et leur déchéance.

 « Il suffit d’un instant pour faire basculer une vie. »

C’est un roman tendre, touchant, drôle, triste. Pourtant l’auteur ne nous cache rien. Dès le départ, nous savons que le malheur s’est acharné sur ces enfants et leur mère. Et pourtant, les souvenirs, la tendresse, les chemins qui nous mèneront à comprendre ce qui s’est passé sont tellement beaux, plein de charme de naïveté et de douceur que nous nous y attachons avec un fol espoir.

Arundhati Roy
Au fil du roman, Arundhati Roy nous conte ces petits riens qui emplissent les instants de tendresse. Ces petites choses qui font les grands bonheurs « l’Un-fini bonheur »,  ce Dieu des petits riens. Alors bien sur,  la fin n’en n’est que plus cruelle. Pour la deuxième fois, un livre m’aura fait pleurer. C’est une infinie tristesse qui m’a submergée par désespoir pour ces enfants, pour leur mère. Et c’est avec un talent, un style d’écriture indéniablement magnifique que l’auteur nous emporte. Difficile d’expliquer ce style qui tantôt reprend des mots d’enfant, tantôt des métaphores mais toujours construit dans une emphase poétique.

En regardant les critiques sur internet, j’ai constaté que ce roman est de ceux qui ne laissent pas indifférents. Soit on y adhère et on se laisse emporter au plus profond de ces sentiments, soit on le rejette avec une violence, presque du dégoût. Vous comprendrez que j’ai absolument adoré ce livre. A vous de faire votre propre opinion, mais  si vous y adhérez, cela en vaut vraiment la peine…

LineTje

Fiche Technique : LE Dieu des petits riens D’arundhati Roy ; Ed. Gallimard, Coll. Du monde entier ; ISBN 2-07-074797-2 ; 387 pages ; 8.50€

3 réflexions sur “Le Dieu des petits riens d’Arundhati Roy

    • Merci beaucoup 🙂 c’est très gentil. Super si je te donnes envie, j’ai vraiment adoré :-). N’hésite pas à me dire ce que tu en as pensé le jour où tu tentes la lecture 🙂

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