Un voyage dans la méditérannée du VIIIe de l’Hégire

Après les très bonnes éditions de Bara Yogoï (chroniqué par ici), Ainsi naissent les fantômes (de même) et l’apocalypse des homards (lu, trouvé excellent mais que le manque de chronique ne vous empêche pas de vous jeter dessus !), voici Le Prophète et le vizir d’Yves et Ada Remy produit par ce trio parisien totalement fou.

Alors pour ce livre, ce couple septuagénaire « signe son grand retour ». Ou en tout cas, c’est comme ça que les éditeurs l’ont présenté et quand on regarde les dates de publication (chez nooSFere par ex) on ne peut qu’avoir un mouvement de recul entre la publication de La Maison du Cygne en 1978 et ce présent livre (sorti en juin 2012). Un grand retour on vous dit… Mais bon, quand comme moi, on ne connaissait même pas leur existence il y a un an, l’importance du retour est quand même à relativiser.

Bref, après ce préambule, passons aux choses sérieuses. Ce fameux bouquin donc. Fix-up de deux nouvelles ou roman à double facette, ce livre nous conte tout d’abord l’histoire de Kemal bin Taïmour, le prophète énoncé dans le titre (dans la nouvelle l’Ensemeur). Simple pêcheur de perles, il est enlevé par l’émir Nour al-Din Malek dans le but que ses dons pour repérer ce précieux coquillage puissent servir à deviner l’avenir. Et hop, contrairement à la flopée d’hommes difformes que l’émir avait déjà précédemment enlevés, celui-ci est bien capable de lire l’avenir ! Mais un avenir qui a plusieurs siècles… autant dire, sans aucun intérêt pour l’émir. Alors notre cher Kemal, simple pêcheur de perles, est relâché dans la nature, alors pour seules possibilités de parcourir le monde ou crever de faim. Le départ semble une meilleure solution. Bref, on va dorénavant suivre les pérégrinations de ce prophète inutile, de bateau en bateau, de ville en ville, de caravane en caravane, il va parcourir la moitié du monde connu en cette époque du VIIIe siècle de l’Hegire.

Écrit dans une langue très originale, simple, mais détachée, avec une pincée d’ironie et une dose de critiques, Yves et Ada Remy nous content l’histoire de cet homme déracinée, qui suit le destin qu’Allah semble lui avoir donné. Sans prétention, sans mauvaise intention, il parcourt le monde et énonce les dangers et les bienfaits du futur qu’il voit de plus en plus proche. Mais gare à ceux qui ne veulent pas l’écouter ! Ils pourraient périr de la peste au lieu d’être sauvés de celle-ci ! Jouant avec l’histoire et collectionnant les clins d’œil, le couple nous offre une histoire riche, particulière. Voici un voyage au cœur de la méditerranée du XIVe siècle pour mieux comprendre notre époque moderne. Comme une suite à cette histoire, comme une réponse aux prévisions de ce prophète, la deuxième nouvelle nous parle des huit enfants du vizir Fares Ibn Meïmoun. Kemal a prédit leur mort. Cela a provoqué la sienne. Mais est-il dans le vrai ? Ces prédictions vont-elles se réaliser ? Après avoir fait contempler le monde, les auteurs modifient leur angle d’attaque, et jouent sur le tableau du drame, de la tragédie, du bouleversant. Les huit enfants du vizir Fares Ibn Meïmoun, vont-ils mourir comme la prédit le prophète ou celui-ci n’était qu’un charlatan blasphémateur ? Le vizir compte tout faire pour sauver sa progéniture et défier le destin. Voici pour les protagonistes. Le lieu : un désert aride, mortel, dangereux. L’enjeu : la vie des enfants. Le duel s’engage. Il va être âpre, rude.

Prenant encore plus de distance que le texte précédent les auteurs ont joué ici sur l’idée de théâtre et d’omniscience du lecteur qui connait les règles du genre. Acte I, Acte II, etc. Mais est-on sûr de savoir quelle sera la chute ?

Prenant à contrepied l’histoire précédente, cette nouvelle n’en est que le fin prolongement. Qu’une suite à cette histoire et la preuve d’une autre façon de raconter une histoire. De raconter l’histoire.

Là où la lenteur d’un voyage, la découverte d’un monde étaient profitables, on a ici une accélération du rythme (sans être jamais vraiment « rapide »), une montée en pression et en puissance pour une focalisation sur un seul groupe de personnage.

Plus proche du conte que de la fiction moderne, Le Prophète et le vizir est au final un texte très fin, d’une intelligence rare. Arrivant à ne jamais perdre le lecteur au grè de leurs histoires, on a l’impression que les Remy lui tiennent la main pour lui montrer le monde autrement. D’un autre œil. Totalement équilibré, entre les deux nouvelles, mais aussi dans la longueur de chacune, les auteurs prouvent ici la maitrise des codes fictionnels et de leurs talents d’écrivains. Vraiment réjouissant et rafraichissant.

Je ne les connaissais pas. Je vais dorénavant les suivre.  Et je suis chanceux, Dystopia a prévu de sortir Les Soldats de la mer en numérique.

Fiche technique :

Le Prophète et le vizir. Yves et Ada Remy. Ed. Dystopia. Pages : 156. Prix : 10€ ; ISBN : 978-2-9535951-9-2

4 réflexions sur “Un voyage dans la méditérannée du VIIIe de l’Hégire

  1. Rien ne destinait Kemal bin Taïmour à devenir prophète. Sans doute est-ce là une des mystérieuses interventions d’Allah, Clément et Miséricordieux, qui guida la main de l’Emir Nour al-Din Malek le jour où il le recruta pour lire l’avenir. D’homme ordinaire, voici que l’humble reçoit un don puissant mais bien incontrôlable. C’est sur la route qu’il tentera de faire entendre la voix d’Allah, qui lui parle des hommes d’autres temps. Le Vizir Fares Ibn Meïmoun quant à lui ne croit pas au Destin et se moque des prophéties. A-t-il raison ou tort ? Qui du Prophète ou du Vizir détient la vérité ? Les protagonistes sont en place pour jouer leur rôle, il ne reste plus aux événements qu’à se dérouler. Inch Allah.

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