Le Maître de l’espace et du temps ou les folles histoires de Rudy Rucker

Voici un recueil de deux romans, huit nouvelles écrits par Rudy Rucker. Je ne connaissais pas du tout cet auteur, donc j’ai profité de la promotion pour les dix ans de la collection Lunes d’Encre en novembre (deux romans acheté, un livre cadeau) pour l’essayer. En résumé, j’aime beaucoup les romans du monsieur, beaucoup moins ses nouvelles.

Le livre s’ouvre avec le roman-titre « Maître de l’espace et du temps » : histoire un peu dingue de deux savants qui créent une machine permettant de contrôler l’espace et le temps en modifiant la constante de Planck. En clair ils peuvent faire ce qu’ils veulent. Avec cette possibilité, l’auteur y fait une relecture science-fictionnesque des fables moralistes. En des termes et des explications physiques il propose à ses personnages la possibilité de faire trois vœux : à eux de s’en servir correctement. Et bien sûr comme dans les contes anciens, les personnages ne seront ni sages, ni mesurés… Le lecteur aura ainsi droit à des aventures un peu folle, comme la visite d’un monde où toutes valeurs sont inversé (par rapport à celle du savant), à une invasion de cerveau parasite, à la réalisation des fantasmes et rêves les plus inavoués, etc. Bref, un univers un peu déjanté, débridé où l’auteur s’amuse en jonglant avec des notions de physique (pour moi assez pointu) et pourtant a aucun moment le lecteur n’est largué. En plus de ce vernis burlesque, Rudy Rucker met ses personnages dans des situations où leurs réflexions apportent une épaisseur au récit : questionnement sur les dangers de la science bien sûr, mais aussi sur l’identité sexuelle, sur l’égoïsme, etc.

Un roman amusant, un peu fou dans lequel le lecteur ne croit pas un seul instant au réalisme mais pourtant se prend tout de même au jeu et se divertit. La relative profondeur (inattendue) du texte est aussi la bienvenue.

À sa suite se trouve le roman « Le secret de la vie ». C’est l’histoire d’un adolescent qui ne se trouve pas à sa place, et qui cherche le secret de la vie, sa raison d’être. On suivra donc ce jeune homme dans ses premières expériences alcoolisées, amoureuses et amicales du lycée à celle de l’université alors en pleine période hippie. Ce sera donc sex, drogs and rock & roll. Si le jeune homme ne se sent pas « normal », ce n’est pas seulement à cause de la crise d’identité que font tout les ados mais surtout parce que lui l’est vraiment : il peut voler quand il est en danger de mort. Cet élément extraordinaire permet à l’auteur de justifier son questionnement sur la vie sans tomber dans le récit d’un jeune mal dans sa peau. Parce qu’en effet, Conrad Bunger n’est pas mal dans sa peau, juste « pas à sa place », alors il boit, s’amuse et fait comme ces copains en espérant comprendre dans son état second d’ébriété pourquoi il est là.

Roman doux-amer, « Le secret de la vie » questionnement sur l’identité, sur l’amitié, sur l’amour à travers un personnage attachant et drôle malgré (grâce à ?)son irresponsabilité. À mon sens, sûrement le meilleur texte du recueil.

Bref, on retrouve dans ces deux romans le même mélange d’humour et de questionnement. Cela permet aux romans de ne pas être si anodin qu’ils le paraissent. Malheureusement de leur côté, les nouvelles m’ont dans l’ensemble beaucoup plus déçu. Je ne les ai pas forcément trouvées mauvaises, simplement pas ou peu intéressantes.

On y retrouve certes les mêmes folles grandes idées scientifiques que dans Le maître de l’espace et du temps (Surfer de possibilité, ou encore Méduse) mais à chaque fois ce n’est pas compensé par une histoire véritablement accrocheuse, ou du moins qui ne m’a personnellement pas intéressé. Je dois tout de même reconnaître l’originalité de la plupart de ces textes, que ce soit une vision d’un Pythagore inspiré par des entités extraordinaires pour ses réflexions mathématiques (Racine carré de Pythagore), ou un hommage à Kafka et au nombre de ses suiveurs, de ces « nouveaux Kafka » (Le cinquante-septième Fanz Kafka). L’école Jack Kerouac de la poésie désincarné et La bougie des sables d’Andy Warhol sont deux nouvelles assez proches sur l’apparition de ces deux artistes dans notre époque moderne. Les deux sont biens écrites, bien amenées mais ça ne m’a pas touché (pour Andy Warhol encore moins sachant que je n’aime pas ce qu’il faisait). Et enfin Sufer sur le Chaos mélange science et monstre fantastique pour un résultat moyen (la nouvelle la plus faible de l’œuvre à mon sens). Par contre on sent que Rudy Rucker s’est amusé à écrire À l’assaut du Cosmos, l’histoire de deux scientifiques russes qui découvre un objet terrestre. Ça mélange histoire secrète, conflit politique, découverte scientifique. La nouvelle est intéressante, mais sans plus.

Bref, vous l’aurez compris si les nouvelles sont pour la plupart sans fausse note, bien amenées, bien construites je ne suis vraiment entré dans aucune. Pour moi, et d’après ce que j’ai pu voir, le talent de Rudy Rucker ne se développe vraiment que dans une histoire assez longue, où il a le temps de faire émerger de ses idées farfelues une portée, une idée, une critique, ce que malheureusement ses nouvelles ne lui permettent pas. Ainsi au contraire des nouvelles, les deux romans sont vraiment réussis, et je pense que je prendrai plaisir à les relire un jour, notamment Le secret de la vie.

Fiche technique :

Auteur : Rudy Rucker

Titre : Maître de l’espace et du temps

Éditeur : Denoël

Collection : Lunes d’encre

ISBN : 2-207-25663-4

(plus d’info ici)

Gaëtan

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