Hunter S. Thompson, journaliste & hors-la-loi – une biographie de William McKeen

Who is it ?

Raoul Duke et Dr. Gonzo bien sûr ! Les héros du célèbre Las Vegas Parano de Terry Gilliam. Tout le monde connait leur aventure déliro-psycho-hallucinatoire sans but ni fin. Mais ce qu’on sait moins c’est que ce film est à l’origine un livre de Hunter S. Thompson : Fear and Loathing in Las Vegas. Livre qui devait lui-même être au départ un article sur une course dans le désert bordant la cité du jeu. Puis s’est transformé en longue épopée racontant les déboires de l’auteur et de son alter-égo Raoul Duke : drogues, rock ‘n’ roll et années 70’ voilà ce dont parle cette excellente histoire. Un délire pur et simple. Et si aujourd’hui le nom d’Hunter S. Thompson est connu du grand public, c’est pour cet aspect de sa vie : le délire du psychédélisme.

Ce que l’on sait moins c’est que cet homme est aussi l’inventeur du genre gonzo, grand journaliste américain, père de famille, et génie torturé par cet alter-égo Raoul Duke. C’est pour faire la part entre le personnage public et l’homme qu’il était vraiment que William McKeen a publié cette biographie, trois ans après la mort par suicide de cet être si complexe.

(c) Tristram

Né en 1937 et mort en se tirant une balle dans la tête en 2005, Hunter S. Thompson a vécu  une vie tourmenté, riche et pleines d’excès. Pensant mourir à 27 ans, il a toujours usé, ou plutôt abusé, énormément de l’alcool, de drogues et de folies. Mais pas au point de perdre de contrôle, jamais. Comme le reconnaissait ses amis, il détestait justement les alcoolique et ceux qui ne se contrôlaient plus. Vivant avec excès mais conscient de le faire, Hunter S. Thompson était aussi un bourreau de travail, capable de rester plusieurs jours de suite sans dormir pour travailler (… mais bon sous l’emprise de substances psychotropes diverses quand même).

Dichotomie dans le personnage, on découvre avec ce livre toute une facette du bonhomme que ses articles, ses livres, les reprises cinématographique ou encore les références BDesque (le personnage de Spider Jerusalem, héros déjanté de l’excellent Transmetropolitan de Warren Ellis provient notamment de Hunter S. Thompson) ne laissait pas deviner. Difficile en effet de voir dans Raoul Duke, le gentilhomme sudiste que l’inventeur du gonzo était. Mais difficile aussi d’imaginer un journaliste tel que lui avoir fait un mois de prison dans sa jeunesse pour une très mauvaise farce (lui et deux de ses amis ont menacé de violer deux femmes parce que leurs amis ne voulaient pas leur donner de l’argent). Ou encore voir coïncider son amour des armes et du tir (ils tiraient apparemment souvent dans son jardin ou même chez lui – ce qui choqua la très pacifiste Joan Baez lors d’un passage de la chanteuse) et son pacifisme.

Parfois égoïste, revanchard, égocentrique, calculateur, William McKeen nous montre qu’Hunter S. Thompson était avant tout homme. Génie certes mais avec des défauts… comme tout un chacun. Loin de l’image du doux dingue irresponsable incarné par Johnny Depp. Ou pas que.

Hunter S. Thompson, journaliste & hors-la-loi nous montre ainsi le personnage privée derrière le mythe, et le bonhomme n’en ressort que plus grandi, plus impressionnant, puisque l’on comprend ses envies (être écrivain de fiction), face à son talent (« journalistique », notez les guillemets). Il mélangera ainsi les deux, pour notre plus grand plaisir mais au prix d’échec et d’un sentiment de répétition.

Si cette biographie décrit intensément la vie de l’homme, elle arpente également la notion de journaliste tel que l’a compris, modifié voire réinventé Hunter S. Thompson.

Comme je le disais, ce dernier a été l’inventeur du « gonzo journalisme ». Mélange d’enquête traditionnelle avec écriture fictionnelle. Pour faire simple le gonzo c’est l’entrée en jeu de l’individu journaliste dans l’article. On oublie l’idée faussé d’une prétendue neutralité de celui-ci, de spectateur omniscient et impartial, et on assume le fait qu’un journaliste, comme n’importe quelle personne, pense, agit et influence. Et il suffit de lire un article de Thompson pour bien se rendre compte de ça : il n’écrivait pas sur un sujet, il racontait son enquête et son ressenti. Décrivait les gens, plus que les faits… Bref expliquait l’histoire plutôt que la rapportait. Ce renouvellement du journalisme n’a peut-être pas été volontaire, ou consciente mais la haine de Thompson pour le journaliste dit « classique », des grands journaux américains (voir citation plus bas), et sa volonté de la fiction, ont peut-être été le mélange détonnant qui a abouti au gonzo.

Cette seconde approche du livre est donc elle aussi très enrichissante, et transcende le « simple cas » Thompson puisque William McKeen, en professeur de journalisme qu’il est en temps normal, analyse la portée et l’influence de Thompson sur tout un métier. Presque un essai sur les moyens d’écriture, certaines parties du texte sont plus analytique du style et de la forme de Thompson qu’une biographie de sa vie.

Ainsi ce livre conjugue parfaitement les révélations sur le personnage privé/public de Hunter S. Thompson mais décortique aussi son travail et ses envies. Livre d’une grande sensibilité, on est même surpris de grimacer devant la fin tragique de l’écrivain et la douleur de la famille quand arrive la scène toute redoutée du suicide de ce dernier. Grâce à une écriture loin de tout pathos (alors que l’auteur connaissait et admirait Thompson), William McKeen touche au but : nous faire comprendre qui était vraiment ce personnage si emblèmatique.

A mon avis, un livre indispensable pour toutes personnes s’intéressant au journalisme, à Hunter S. Thompson ou à ses écrits. Et notamment les rééditions chez Tristram des gonzo papers.

Ces (très bonnes) éditions ont en effet eu l’excellente idée de rééditer les livres de la série La Grande chasse au Requin (L’Ancien testament gonzo et Le Nouveau testament gonzo) sous le nom de Gonzo Papers 1 et 2 (Parano dans le bunker / Dernier tango à Las Vegas), recueils de ses articles parus dans différents journaux : le National Observer, où il a commencé, Rollings Stones où il publia une grande part de sa production mais aussi le Boston Globe ou le très prestigieux New York Times Magazines. J’attends déjà avec impatience la parution des tomes 3, 4 et 5 !

Et pour finir un point de vue de Hunter S. Thompson sur les journalistes.

« J’ai suivi quelques cours d’écriture à Columbia pendant mon temps libre, ai énormément appris sur la manière dont se mènent les affaires journalistiques, jusqu’à éprouver désormais un saint mépris pour le métier. Je pense pour ma part qu’il est fort dommage qu’un secteur potentiellement aussi dynamique soit entre les mains de nazes, de vauriens et de pisse-copies frappés de myopies et d’apathie, bouffis de satisfaction, généralement confits dans un marais de médiocrité stagnante. Si c’est ce à quoi vous essayez d’échapper avec le Sun, alors il me semble que j’aimerais travailler pour vous. » (Lettre datée du 1er octobre 1958 adressée à Jack Scott du Vancouver Sun)

Fiche technique :

Hunter S. Thompson, journaliste & hors-la-loi ; William McKeen ; ed. Tristram ; 416 pages ; prix : 24 € ; ISBN : 978-2-907681-81-0

Gaëtan

CITRIQ

2 réflexions sur “Hunter S. Thompson, journaliste & hors-la-loi – une biographie de William McKeen

Laisser un commentaire