Focus Peter S. Beagle : La Dernière Licorne & Le rhinocéros qui citait Nietzsche

Peter Soyer Beagle est né le 20 avril 1939. Auteur de fantasy, il est surtout connu pour son livre La Dernière Licorne considéré comme un classique du genre. Il a aussi travaillé en tant que journaliste ou scénariste (on lui doit notamment la version animée du Seigneur des Anneaux).

Voici une critique de deux de ses livres, La Dernière licorne tout d’abord, puis du recueil Le rhinocéros qui citait Nietzsche.

La Dernière licorne conte l’histoire du dernier de cet animal mythique. La licorne (puisqu’elle ne s’appellera [presque] jamais autrement), vivait paisiblement dans sa forêt, à épier les quelques humains qui osaient y entrer, à courir sous les arbres et à se rafraichir au bord de l’eau. Jusqu’au jour où elle apprend qu’elle est la dernière de son espèce, que les licornes, autrefois animal mythique que les jeunes héros recherchaient ont disparu. La licorne décide alors de vérifier cette histoire et se lance à la recherche de ses sœurs disparues. S’en suit alors un périple entraînant diverses rencontres de la licorne comme Schmedrick le magicien ou Molly. Ensemble, ils décident d’aller à la rencontre de Haggard et de son Taureau rouge où la piste des licornes s’est arrêtée.

Conte parfois absurde, souvent beau et poétique, La Dernière licorne présente tout son intérêt dans les dialogues et la présentation d’un conte modernisé. La quête de la licorne s’apparente à la fin de la magie, à la fin des croyances des hommes envers les créatures chimériques. Le rapport entre la rencontre de la licorne avec des hommes puis sa capture par une foire itinérante est ainsi source de nombreux éclaircissement et remarques : les hommes ne voient la licorne que parce qu’ils s’attendent à la voir. Ils ne  la voyaient pas quand elle était libre, la prenant pour une très belle jument, mais s’extasie de sa beauté, et de son étrangeté quand elle leur est présentée enfermée entre des barreaux. Peter S. Beagle marche ainsi dans les pas de J.R.R. Tolkien qui mettait lui aussi en œuvre le désenchantement du monde. Cependant là où Tolkien imagine une ultime guerre gagnée par les hommes (et donc la science, la technologie, etc.) Peter S. Beagle propose une histoire plus douce, plus proche des contes et des mythes. La licorne est une petite créature douce, gentille, mais inhumaine dans le sens où elle ne peut ressentir d’émotion. Pour elle, pas de colère, pas de haine, mais non plus d’amour, d’amitié ou d’empathie. La licorne est un animal solitaire et donc froid.

Cependant, l’idée de traiter de telle façon la fin de la magie, de mettre en place un amour courtois (donc disons-le : chiant) et de limiter au maximum toutes aventures risque de faire perdre beaucoup de lecteurs. En effet, La Dernière licorne peut apparaitre du même coup assez naïve, voire « cucul » (pour reprendre l’expression de Cid Vicious dans sa critique parue dans le Bifrost 29 du recueil Le rhinocéros qui citait Nietzche, et lisible sur nooSFere). Mais cela est à mettre en perspective avec la volonté de l’auteur et surtout les moyens mis en place : l’histoire est absurde. Pas dans le sens idiote ou inutile, non, absurde comme seuls les anglo-saxons (j’aurais bien dit les Anglais, mais malheureusement Beagle est américain donc…) savent le faire : qui n’a pas de sens. Le non-sens est déjà présent dans l’histoire en général (une licorne qui part à la recherche de ses sœurs disparues comme on part se promener au petit matin profiter du beau temps) puis aussi au détour d’une page dans des dialogues des personnages, comme ces pseudo-brigands dont le chef est amateur de ballades et qui parlent de les « enregistrer ». D’autres anachronismes du genre ou extravagances sont présents ainsi dans le texte pour le plus grand plaisir du lecteur (du miens en tout cas).

La Dernière licorne semble donc au premier abord un texte presque enfantin, un conte gentillet sur les mésaventures d’une licorne. Cependant, le livre est plus que ça : presque un conte philosophique sur la fin de la magie, mais aussi une histoire tendre très agréable à lire et à découvrir. Pas le roman du siècle, mais clairement un bon livre.

De licorne et d’absurdité il en est aussi question dans le recueil Le rhinocéros qui citait Nietzsche. De chef-d’œuvre aussi d’ailleurs.

Présentant six histoires aussi loufoques les unes que les autres, Peter S. Beagle nous offre ici un livre tout simplement superbe.

Ca démarre très fort avec la nouvelle éponyme « Le Professeur Gottesman et le rhinocéros indien » où le distingué professeur de philosophie fait la rencontre assez inattendue d’un rhinocéros parlant, se prenant pour une licorne et qui aime discourir de philosophie. Assez inhabituel non ? Ce texte est une vraie pépite présentant situations absurdes en évènements burlesques, mais qui touche aussi par son ton et son histoire douce-amère.

Ces mêmes qualificatifs d’absurde, de réussites et d’histoire douce-amère vont aussi très bien à la  nouvelle suivante : Entrez, Lady Death qui offre encore une fois une situation absurde, mais touchante, et presque dérangeante : lady Flora Neville est une vieille aristocrate connue et respectée pour les nombreux bals qu’elle organise. Or si tout le monde s’y amuse, elle commence à s’ennuyer de ce qui est devenu une routine. Pour pimenter ses soirées, elle décide donc d’en organiser une dernière où elle invitera la Mort en personne. C’est encore une fois très réussi et le lecteur commence à réaliser qu’il tient entre ces mains un livre qui a quelque chose

Puis ce sentiment devient presque une certitude avec la troisième nouvelle Lila le loup-garou : « Lila Braun vivait avec Farrell depuis trois semaines quand ce dernier découvrit qu’elle était un loup-garou ». Voilà la première phrase de la nouvelle met le décor en place et pose le ton de l’histoire. Dans une histoire sans pathos, Peter S. Beagle montre le destin d’un homme dépassé par les évènements, un jeune homme qui n’est même pas surpris que sa compagne soit un loup-garou, qui ne l’aime pas vraiment, mais puisqu’il ne la déteste pas il reste avec… Cette absence d’émotion, et d’évènement forts donne un ton presque surréaliste à l’histoire, qui ajouté à (l’inévitable dorénavant) absurdité du texte offre un résultat de très haut niveau.

Mais passé ces trois textes d’excellent niveau, Le rhinocéros qui citait Nietzsche « tombe » dans le seulement (sic) bon.

La Licorne de Julie tout d’abord où on retrouve encore une fois une licorne et le fameux amour courtois qu’elles semblent dorénavant incarner. L’histoire est plaisante, joliment décalée, mais il y manque un petit quelque chose, un brin de folie sûrement pour atteindre le niveau des trois précédentes.

Avec La Naga, on arrive là à la nouvelle la moins forte du recueil. Certes l’auteur imite convenablement le style des chroniques des Anciens (il présente même la nouvelle comme étant un texte d’un écrivain romain) mais l’histoire en elle-même (la rencontre d’un roi apathique attendant l’amour de sa vie et une créature humanoïde mythique) ne m’a pas plus intéressé que ça. Reste que le récit se laisse lire agréablement et même s’il déparait à côté des autres demeure d’un bon niveau (à noter que cette nouvelle est parue tout d’abord dans le recueil L’Adieu au roi, un livre en hommage à J.R.R. Tolkien).

Et enfin, le recueil se termine avec Une Danse pour Emilia. L’histoire assez tragique, et triste ne m’a pas semblé au même niveau que les autres malgré le fait que tous les éléments soient rassemblés pour en faire une très bonne nouvelle. Peut-être là encore un grain de folies, d’absurdité manque-t-il dans cette histoire de fantômes, d’amitié, de liens coupés, de regrets d’une vie passée, etc. Ou peut-être simplement cette nouvelle n’était pas ce que j’attendais, c’est-à-dire que pour une fois Peter S. Beagle n’avait pas voulu proposer des situations absurdes, mais plutôt tragiques. Or le ton des nouvelles précédentes a-t-il influencé mon attente vis-à-vis de ce récit, pour lequel je suis passé à côté.

Quoi qu’il en soit, Le rhinocéros qui citait Nietzsche, propose comme le laissait penser son titre des récits aussi absurdes les uns que les autres, mais surtout d’un niveau très bon. Celles-ci oscillent du bon à l’excellent et on comprend très vite pourquoi ce livre a reçu le GPI en 2004 ! Pour ceux qui aiment le non-sens anglo-saxonne (ne me demandez pas pourquoi, mais alors que les thèmes n’ont rien à voir, j’ai pensé à Douglas Adams plusieurs fois pendant la lecture), qui aiment les histoires parfois tristes, mais souvent joliment décalé, alors lisez Le rhinocéros qui citait Nietzsche, chaque récit est une surprise et souvent une très bonne.

Fiches techniques :

La Dernière licorne ; Peter S. Beagle ; éd. Denoël, Coll. Lunes d’encre ; ISBN : 2-207-24959-X ; Prix : environ 18€ (plus d’info ici). A noter qu’un article étudiant la symbolique dans ce livre est disponible sur nooSFere : La symbolique de la dernière licorne.

Le Rhinocéros qui citait Nietzsche ; Peter S. Beagle ; éd. Denoël, coll. Lunes d’encre ; ISBN : 2-07-042147-3 ; Prix : environ 6€ (plus d’info ici)

Gaëtan

Pour La Dernière licorne :

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Pour Le rhinocéros qui citait Nietzsche :
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3 réflexions sur “Focus Peter S. Beagle : La Dernière Licorne & Le rhinocéros qui citait Nietzsche

  1. La dernière licorne, un conte « absurde » je suis d’accord 🙂
    J’aime beaucoup la plume de Beagle et son humour fin 😉
    Et puis la dernière licorne, c’est du gnangnan aussi, du super liquoreux.

    Je suis d’accord avec toi pour le second livre, les nouvelles n’ont peut-être pas été classées de manière la plus optimale.
    Même si on reste avec les autres nouvelles dans le « bon » 🙂

    Deux livres que j’ai adorés, avec peut-être une nette préférence pour « Le rhinocéros qui citait Nietzsche » mais sans doute parce que c’est avec celui-ci que j’ai découvert Beagle 😉

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